Article de la revue TDC n° 832 du 15 au 31 mars 2002 de Maria Mérel (textes et document pour la classe) " Les contes "
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" Quand un conte est fatigué d'aller d'une bouche à une oreille et de cette oreille à une autre bouche, il saute sur une rafale de vent et se laisse porter jusqu'ici. ( ...) Il reste chez moi jusqu'à ce que la nostalgie des hommes le prenne et qu'il désire retourner vivre dans les mémoires, vibrer de nouveau dans les voix." Patrick Joquel, Olivia et l'enfant des sables, © Editions du Jasmin |
La cage aux contes - Paroles de conteurs Le comte Olivia et l'enfant de sables, écrit par Patrick Joquel et illustré par Isabelle Malmezat (Editions du Jasmin), procède à une mise en abyme : c'est un conte sur les contes, sur la vitalité et l'importance de la parole des contes. Pour initier les élèves à la nécessité, au plaisir et à l'art de raconter. LECTURE DE L'IMAGE > UN DECOR MEDITERRANEEN - La scène se passe dans le pays des Oliviers. L'héroine traverse le désert pour aller rejoindre l'enfant des sables. Dès le titre et le début de l'histoire, il s'agit d'un décor méditerranéen. - Les deux illustrations situent bien les lieux. Le bleu intense du ciel, la glycine en fleurs mauves, la fenêtre fermée par une grille en fer forgée (moucharabieh) peinte en bleu comme souvent dans les pays du Maghreb, le rideau devant la porte pour préserver l'intimité et la fraicheur de la maison, le mur en chaux, le sol de terre battue, le tapis oriental, la cage orientale, la théière bleue et les verres colorés pour l'heure du thé à la menthe, les personnages assis à même le sol, leur tenue vestimentaire, la couleur et les motifs des habits, la chevelure et les yeux noirs, tout renvoie au monde oriental. - Sur la première des illustrations, la vieille femme assise fait songer aux peintures marocaines de Matisse : couleurs, motifs, position. Sur la seconde illustration, si les habits des personnages assis ne portent aucun motif, l'éclat des couleurs est travaillé comme le faisait Matisse : importance prépondérante accordée aux masses colorées au détriment de l'exactitude du dessin ; les couleurs se suffisent à elles-mêmes. En aidant du gros plan, dans TDC n° 799, les artistes et la Méditerranée, pour l'étude détaillée du tableau ci dessous, on conduira les élèves à comparer ces images au tableau.
> LA RENCONTRE - Olivia, âgée de six ou sept ans, rencontre ici pour la première fois la vieille femme. Rencontre capitale dans ce pays des Oliviers où la parole est muselée par un tyran, où la fillette est muette. Son prénom, Olivia, choisi pour la couleur de ses yeux aussi noirs qu'une olive, l'identifie totalement à ce pays. - Debout, vêtue d'une robe grisâtre, Olivia porte un sac de linge sale à la lavandière. Elle est présentée de dos, c'est elle qui découvre ; comme nous, elle tient le rôle du spectateur. - La vieille dame, assise sous la glycine, les yeux fermés, semble somnoler et se laisse observer tout à loisir. Elle est présentée de face. Entre ses mains, elle tient, comme pour la protéger, une petite cage de bois et de fer. - Cette cage intrigue la fillette qui s'approche pour la toucher. Mais la vieille l'en empêche et lui murmure (rappelons que la parole est interdite) : " C'est trop tôt ! Un jour viendra ou tu ouvriras la porte de cette cage. " - Quelques années plus tard, la nuit de la mort de cette femme, Olivia hérite secrètement de la cage. Elle en ouvre alors la porte et une voix chuchote à son oreille (on soulignera bien ce deuxième chuchotement) : " Demain à l'aube, va sur la plage, monte sur la première mouette que tu rencontreras et laisse-toi porter au-delà de la mer, là ou t'attend celui qui m'attend. " Contrairement au contetraditionnel, alors que l'aventure commence, on est toujours en plein mystère, l'héroïne aussi : qui parle ? quel est donc le secret de cette cage ? > DU SILENCE A LA CONVIVIALITE - Olivia entreprend un long voyage initiatique et rencontre l'enfant des sables : c'est le gardien des contes de la terre et du ciel, de la mer et du feu. Dans la cage, il trouve tous les contes du pays d'Olivia, qu'il croyait perdus à tout jamais. Il rend la parole à la jeune fille et l'invite à écouter les contes de tous les pays. - De retour chez elle, Olivia raconte à son tour. Sur la seconde illustration (ci-dessous), on la voit présentée de face, en plein centre de l'image. C'est l'heure conviviale du thé. Assise sur le rebord de la fenêtre, comme sur une estrade ou une scène de théatre dont le rideau rouge est tiré, devant le public assis à ses pieds, elle n'est plus spectatrice, elle conte, avec beaucoup d'aisance et des gestes amples. Par rapport à sa petite robe grise d'enfant, son habit est plus lumineux (pantalon au blanc éclatant, tunique colorée) et, surtout, il affiche une libération : le pantalon, la tunique sans manches sont loin du costume traditionnel. La parole s'affiche : bouche ouverte d'Olivia ; elle se savoure : sourire du public ; elle s'exprime et s'écoute sans crainte, dehors et en plein jour. Olivia conte, avec, auprès d'elle, la petite cage de bois et de fer accrochée au mur de la maison. - Le décor est à peu près le même que sur l'illustration précédente : même mur, même sol. Mais l'image est bien plus vivante, bien plus colorée : au seul rouge du tapis répondent le rouge du soleil couchant, le rouge du rideau (vert précédemment), le rouge du plateau, le rouge éclatant du vêtement de la femme assise, symboles de vie. Il n'y a plus de grille à la fenêtre, le rideau est tiré, symboles d'ouverture. Un arbre étend son feuillage, symbole de renaissance. - Ayant retrouvé la parole, Olivia la rend à son pays muselé ; à force de conter, elle redonne aux habitants le goùt de parler. Cette parole symbolise la vie ; ôter sa tradition culturelle à un peuple, c'est le tuer (les exemples contemporains ne manquent pas). Le conte a fait renaître la convivialité. La parole a fait renaître la liberté : le tyran, désavoué par tous disparaît.
> LA CAGE AUX CONTES - La petite cage a une importance capitale dans cette histoire : il ne faudrait pas que les élèves se méprennent sur ce qu'elle représente. On est loin ici du sens habituel d'enfermement. - Elle n'occupe pas la même place et n'a pas la même signification sur ces deux images. Sur la première, elle est lovée entre les bras de la vieille conteuse, interdite de parole. Lovée à la fois comme quelque chose de fragile et comme un trésor infiniment précieux. C'est ce qui attire irrésistiblement la petite fille. Sur la seconde, accrochée au mur, la cage n'a plus besoin de protection. Elle est dans son décor naturel. Elle est là, présente et nécessaire. Pourtant, dans les deux cas, même si elle est largement ajourée, sa porte est fermée. Pourquoi ? - La réponse, on la trouve dans le désert où les contes viennent se ressourcer. Les arbres "portaient, en guise de feuilles, des milliers de petites cages toutes semblables à celle de la vieille lavandière. Leurs portes étaient ouvertes et des milliers de murmures papillonnaient autour. Ils enveloppaient Olivia de leurs histoires, caressaient ses cheveux, ruisselaient sur sa peau (voir ci-dessous)." Sortis de leurs cages, s'entremêlant, s'enrichissant les uns les autres, ils y retournent ensuite pour transmettre leurs histoires, leur expérience et leur sagesse. Cette cage, c'est en quelque sorte la mémoire des hommes qu'il ne faut pas laisser tarir, qu'il faut conserver et cultiver. Maria Mérel
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